LA PENSÉE DES MOUTONS DE PANURGES

Le principe de la pensée moutonnière est magnifiquement illustré par la vengeance que fit subir Panurge, le héros de Rabelais, au propriétaire d’un troupeau de mouton. Il lui acheta le mouton chef du troupeau et le lança à l’eau. « Tous les autres moutons criants et bêlants en pareille intonation commencèrent à sauter en mer après à la file. (…) Comme vous savez du mouton le naturel, toujours suivre le premier, quelque part qu’il aille.  ». Le propriétaire du troupeau se noya également en tentant d’attraper les bêtes qui se jetaient à la mer. 

 

Il est fort déplaisant de songer que nous nous comportons très souvent comme des moutons. Il est bien plus valorisant de croire que nos actions et nos pensées sont guidée par des décisions individuelles. Or, les études de plusieurs psychologues-chercheurs  ont largement démontré qu’en société, l’être humain est d’un conformisme stupéfiant. Chaque sujet tente d’ajuster son opinion à ce qu'il pense être le consensus du groupe. Même si au départ il avait une opinion différente. Chacun aligne sa pensée à celle du groupe sans trop se soucier de savoir ce qui est vrai ou faux. Le cerveau de l’être humain semble programmé génétiquement pour favoriser ce que les psychologues nomment la pensée de groupe. Ce que l’on retrouve aussi sous les vocables de pensée unique, de prêt à penser ou de politiquement correct. 

 

Ce phénomène est parfaitement illustré en temps de guerre où des milliers de soldats développent les mêmes préjugés envers l’ennemi. Les biens pensants songeront immédiatement que la pensée moutonnière est le propre des militaires. Il est politiquement correct de penser que l’armée est un milieu conformiste, borné et imperméable aux idées créatrices. Or, tel n’est pas le cas. Je me souviens d’une conversation que j’avais eue avec le psychologue américain Paul Ekman . Nous étions tous deux d’accord pour dire qu’à l’armée, il est possible de mener des expériences en psychologie novatrices et non-conformistes. Pratiques impensables dans d’autres institutions réputées pourtant ouvertes au libre examen ou à l’esprit critique. 

 

Le prêt à penser entraîne également des associations d’idées toutes faites. Ainsi, quelqu’un qui défendrait l’armée ne pourrait être fondamentalement que conservateur et forcément politiquement de droite. Il se fait que j’ai contribué à des recherches scientifiques dont les résultats étaient favorables à une plus grande libération sexuelle des femmes et aux nouveaux droits en faveurs des homosexuels. Alors le même réflexe de prêt à penser me cataloguera facilement comme un gauchiste libertaire. 

 

Je n’ai jamais accepté d’enfermer mes opinions dans une catégorie préétablie. Aussi, lorsque l’on m’a proposé de tenir cette chronique, j’ai décidé de relever le défi de lancer à chaque fois des réflexions à contre courant de l’opinion majoritaire au risque de parfois choquer la « bienpensance ». Non par goût de la provocation. Je reconnais d’ailleurs qu’il existe bien des avantages à la pensée de groupe. C’est plus reposant et cela diminue les antagonismes. 

 

Cependant, je trouve qu’il est rafraîchissant d’échanger des opinions divergentes et parfois iconoclastes. Comme Jules Renard, je pense qu’ « il faut changer d'avis comme de chemise : c'est une question de propreté ».  Aussi, dans ces colonnes, je me permettrai de partager des opinions variées et parfois opposées. Mais surtout, j’invite à la liberté de réflexion : personne n’est obligé de penser comme moi...

 

 

Mes opinions sont à l’opposé de toute forme de nationalisme. Je n’ai jamais cru que ma culture soit supérieure à aucune une autre. Je ne crois pas non plus que les wallons soient inférieurs à d’autres, plus fainéants, plus profiteurs et dénués de la capacité intellectuelle nécessaire à l’apprentissage d’une autre langue. Les Flamands sont fiers d’être Flamands. Et ils ont raison. Pourquoi aurais-je honte d’être francophone ?